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Olivia Ruiz : « J’ai été élevée par un village entier, un truc très anarchique, hyperbordélique »

Retrouvez tous les épisodes de la série « Un château de sable avec… » ici.
« Putain de vent ! », lâche-t-elle, repoussant ses cheveux en arrière. Le cers, ce vent du nord-ouest qui, à Narbonne (Aude), descend du Languedoc vers la mer, s’est levé. Sec comme l’hiver quand vient le froid, desséchant comme un four lorsque les chaleurs de l’été prennent le dessus. Mais tout ça la fait rire. Olivia Ruiz a la gouaille rageuse des filles du Midi et leur joie belliqueuse qui fait s’évanouir toute rancœur. « Je suis une grooosse frileuse », dit-elle en frissonnant alors qu’on traverse la longue étendue sableuse qui sépare, vidée par la bise, la petite station balnéaire de la Grande Bleue. « De toute façon, je ne suis branchée plage qu’à partir du coucher du soleil, quand elle se vide. Le moment d’y aller pique-niquer, écouter de la musique… Je n’aime pas quand elle est noire de monde », affirme-t-elle.
Narbonne-Plage, c’est chez elle. Elle y a passé ses années de jeunesse. C’est là qu’elle se retire (hors saison, lorsque les rues aux noms de poissons sont désertées) dans l’appartement qu’elle y a acheté, pour écrire, pour s’y reposer ou prendre l’air avec son compagnon, Nicolas – lequel est aussi son attaché de presse –, et leur fils de 9 ans, Nino. C’est là encore qu’ils se sont confinés lorsque la pandémie a transformé le visage du pays. Et c’est là qu’elle nous a donné rendez-vous alors que, à 44 ans, elle sort son sixième album, La Réplique. « J’aime que ça parte/Du ventre et du bassin/Je libère mon centre/De son dessein/Mon instinct est mon phare… », égrène la chanson éponyme.
Chanteuse célébrée (deux Victoires de la musique, en 2007 et en 2010, deux disques d’or, deux de platine, un de diamant – en l’occurrence le deuxième, La Femme chocolat [2005], qui s’est écoulé à 1,2 million d’ exemplaires), comédienne (un premier rôle face à Gérard Jugnot et à François Berléand, en 2011, dans Un jour mon père viendra, de Martin Valente), et maintenant écrivaine avec deux romans remarqués parus chez JC Lattès, La Commode aux tiroirs de couleurs (2020 – un best-seller, avec déjà 300 000 exemplaires vendus) et Ecoute la pluie tomber (2022), dans lesquels, à travers des épopées fictionnelles, elle tente de rendre leurs voix à ses deux grands-mères, réfugiées en France après la guerre d’Espagne, ayant eu à subir tout à la fois la douleur du départ et la violence de l’arrivée.
« La façon dont on accueille les immigrés conditionne leur destin, raconte la chanteuse-écrivaine. Parquées dans des camps, l’une près de Perpignan, l’autre à Rennes, elles ont toujours refusé de me raconter ce qu’elles ont vécu. Et ne nous parlaient jamais en espagnol. » En choisissant le silence pour tirer un trait sur le passé, constate la chanteuse, elles l’ont enveloppée dans leur secret, essaimant sur ses œuvres des milliers de grains de sable comme une piste invisible qu’elle s’évertue à retracer.
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